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samedi 21 décembre 2019

Yoko la jument 1 " Le gâteau de Noël"


" La compassion, mot plus explicite que celui de pitié, puisqu'il souligne le fait de pâtir avec ceux qui pâtissent, n'est pas, comme on le croit trop, une passion faible ou une passion d'homme faible, qu'on puisse opposer à celle, plus virile, de la justice ; loin de répondre à une conception sentimentale de la vie, cette pitié chauffée à blanc n'entre comme une lame que chez ceux qui, forts ou non, courageux ou non, intelligents ou non (là n'est pas la question), ont reçu l'horrible don de voir face à face le monde tel qu'il est. À partir de cette vision extatique à rebours, on ne parle plus de beauté qu'avec certaines restrictions ."
 Marguerite Yourcenar


Yoko la jument 1 

Le gâteau de Noël


Yoko, lors de son sauvetage le 8 novembre 2018
                                          Alors tu es là, souffrante, glacée, attendant la mort.
Le sauvetage a été difficile, très éprouvant, mais tu es là.
Vacillante. Il a fallu plusieurs heures pour te relever, avec des sangles, un tracteur, et du monde.
Le voyage jusqu'à chez nous a été très dur.
Mais tu es là.
On a nettoyé tes plaies, le vétérinaire est très pessimiste.
On se relaie à tes côtés jour et nuit.
Déjà la mort ne danse plus dans tes yeux. Tu as renoncé à trembler, j'ai enfoui mes mains dans ta crinière. Tu as reniflé le foin, tu as mangé un peu, à bout de forces.

Yoko, deux jours après son arrivée

Les jours passent, au rythme de tes chutes, tes malaises, et ce corps qui cherche le chemin de la vie. Jours sanglots, jours combat quand on met des heures pour te lever, avec le vétérinaire en urgence, avec des amis.
Tu laisses ces mains te palper, t'examiner , te tirer, t'aider.
Et puis il y a cette étincelle, cette étrange étincelle, ce mélange de courage, d'espoir, de renaissance qui germe en toi. Elle grandit, tournoie, allume ton regard.
Tu es là. 
Tu quittes peu à peu le monde des limbes dans lequel tu étais, tu vogues vers les rivages de la vie.
Tu frémis aux caresses, tu mets ton nez-velours dans mes mains lorsque, couchée, tu nous dis à ta manière que tu es trop faible pour te relever, qu'on ne doit pas gaspiller tes forces, qu'il faut attendre un moment.
Je me couche contre toi, mes larmes roulent sur mes joues, et d'un coup de langue tu les attrapes.

Et puis il y a eu ce jour. Juste avant Noël.
Malaise. 
Plus aucune réaction.
Lorsque tu es revenue à toi ton souffle était si faible, comme un murmure, comme un départ.
Mais ton nez cherchait les caresses, comme pour défier cette mort qui voulait te prendre.
Tu as relevé la tête, ta tête magnifique, ta tête de jument, ta tête gracieuse qui voulait accueillir la vie, l'amour, la lumière, la joie et  les bonheurs à venir.
Nous avons attendu le vétérinaire.
En tremblant, car nous avions déjà refusé la décision, la terrible décision, celle d'abréger cette lutte tant l'espoir était faible.
Yoko, presque 3 semaines après son arrivée

Mais tu t'accrochais tant à cet espoir, que nous ne pouvions que s'y accrocher avec toi. Tu nous y attendais dans cet espoir, avec ta tendresse, les tremblements de ta carcasse, tes os douloureux, ton regard de guerrière.
Une guerrière d'amour et de vie.
Nous avons décidé de prendre le thé dans l'écurie, près de toi.
Peut-être serai ce la dernière fois. Ton cœur battait si faiblement.
Assis, nous te caressions, ta tête sur mes jambes.
Mon homme a apporté les bols, le thé fumant, et un gâteau de Noël.
La fumée dessinait des volutes argentées. Tes naseaux ont frémi.
Les larmes coulaient sur mes joues, l'une d'elles est venue rouler sur ton visage.
Ton visage magnifique, ton visage de jument. 

Mon homme a coupé le gâteau.
Tu as redressé ton encolure.
Tu as henni, un petit hennissement, comme celui d'un poulain.
Un poulain au commencement de sa vie.
Tu as attrapé un morceau de gâteau.
Tu l'a mangé. Une friandise de vie. Une friandise pour refuser la mort.
Mes mains ont parcouru ton corps. Ton corps allongé qui attendait de renaître.
Ton corps tout cassé, ton corps avec cette piroplasmose chronique, ton corps dénutri, ton corps avec cette ancienne fracture jamais soignée et ces bouts d'os effroyables brisés dans ta jambe.
Ton corps de vieille jument agonisante. Ton corps de guerrière.
Tu as dégusté le gâteau. Et avancé ta bouche vers ma main pour en avoir un autre bout, avec une mimique de cheval gourmand.
Lorsque le vétérinaire est arrivé, tu mâchais tranquillement, l'oeil coquin.
Au bout d'un moment tu as soupiré.

Tu as secoué ton cou.
Tu nous a dit que tu étais prête.
Nous t'avons aidé à te relever.
J'ai vu dans tes yeux de la fierté.
Et j'ai pleuré, mais cette fois c'était de la joie...

Yoko, fin décembre 2018
                                       

8 commentaires:

  1. Bonjour, Je découvre votre blog et c'est super !Bien sûr, les sujets traités sont dramatiques mais, je me sens d'emblée "en famille" et je suis sincèrement ravi de cette belle rencontre ! A bientôt donc !

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    1. Je vous remercie, votre commentaire me touche beaucoup.
      Yoko, cette jument est toujours avec nous et est devenue splendide. Elle est la maman adoptive d'une petite vache aveugle et épileptique dont elle s'occupe à merveille, mais ça, ce sera d'autres articles... Je vous souhaite d'excellentes fêtes de fin d'année.

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  2. P.S. : Je n'ai pas réussi à changer l'adresse mail que je consulte rarement voire jamais : si, donc vous souhaitez me contacter directement, il vaut mieux vous servir de celle-ci : jean-louis.schmitt11@orange.fr MERCI !

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    1. D'accord, je le ferai avec plaisir, je vous souhaite une excellente soirée.

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  3. Magnifique texte, très émouvant, qui me fait monter des larmes à la fois de tristesse et de joie. Merci de nous faire partager ces magnifiques moments de vie, cela donne du baume au coeur. Je vous souhaite de très bonnes fêtes et beaucoup de courage pour la suite afin d'aider ces animaux en détresse.

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    1. Je vous remercie, ce que vous dites me touche beaucoup. Vivre parmi les animaux, partager leurs souffrances, les aider, partager leurs moments de joie, leur complicité, donne de belles leçons de vie. Je vous souhaite d'excellentes fêtes.

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  4. Merveilleuse histoire qui m'a également tiré les larmes...

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    1. Merci beaucoup. Yoko est toujours avec nous, elle est devenue splendide, épanouie et a adopté une petite vache aveugle et épileptique dont elle est fière de s'occuper, mais cela sera dans d'autres articles... Dans notre refuge les animaux vivent en communauté et en harmonie, malgré leur passé souvent difficile...

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