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jeudi 22 octobre 2020

Même le plus petit d'entre les animaux n'est pas un objet.

 

La vrai bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité, ce sont les relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Milan Kundera

 


 

« Maman, je veux un rat ! Pour Noël, s’il te plait ! Dis oui, dis oui, dis oui ! S’il te plaît maman ! »
« Je ne sais pas, ma chérie. Ce n’est pas bien raisonnable… Est-ce que tu saurais t’en occuper ? »
« Oui maman, c’est promis ! »
« Tous les jours, hein ! Et il faudra nettoyer la cage ! »
« Oui oui, allez, s’il te plaît ! »
« Bon… C’est d’accord. Tu veux lequel ? »
Le noir et blanc, là.
 
Moi.
Une main me saisit, un peu brutalement, mais je ne proteste pas. J’attends ce moment depuis trop longtemps : trois mois, trois longs mois pendant lesquels j’ai vu partir mes frères, mes sœurs, mes amis de passage, et cette fois-ci, mon tour est arrivé : je vais enfin être libre.
« Joyeux Noël Mélanie. »
« Merci maman. Bonjour Ratatouille ! »
Bonjour Mélanie.
Je dois te l’avouer, j’ai tout de même un peu d’appréhension : après tout, je n’ai rien connu d’autre que cette vitrine trop éclairée, cette litière qui me pique les narines, et la chaleur de mes compagnons d’infortune. On m’a placé dans ce petit box, au milieu des autres, et j’ai patienté, là, tandis que les jours s’égrainaient lentement. Je suis un peu banal il paraît. Personne ne s’est intéressé à moi, jusqu’à ce que tu me choisisses. Moi. Ratatouille.
Aussi apeuré que je sois pour l’instant, je déborde d’innocence et d’amour. Si tu le veux bien, je pourrais être ton ami.
 
La route est longue. Au fond de cette petite boîte sombre, je suis brinquebalé, secoué au rythme de la circulation. Hurlement du klaxon. La voiture pile et je suis violemment projeté contre la paroi de carton. Je retombe sur mes pattes, me fais tout petit et subis les cahots en silence. Puis nous arrivons enfin. Une brève accalmie.
J’entends Mélanie et sa mère qui s’affairent, des cliquetis métalliques, des voix brouillées, « j’ai presque fini de préparer sa cage, donne-moi la petite maison » dit la maman de Mélanie.
Et soudain, un torrent de lumière. Je suis aveuglé. L’espace d’un instant, je me retrouve sens dessus-dessous. Je tombe sur cette litière qui m’irrite, la même que derrière la vitrine. Je panique, tourne en rond et finis par trouver une cachette dans laquelle je me terre et tâche de reprendre mes esprits.
Plus tard, prudemment, je sors et explore. Une cage dont j’ai très vite fait le tour, avec des barreaux pour laisser passer le jour. Une gamelle, une écuelle remplie d’eau. Puis un tunnel en plastique bleu translucide, un peu étroit. Une roue, trop petite…
Rien n’est vraiment à ma taille, mais qu’importe, c’est chez moi. Et, comble du bonheur, Mélanie est venue déposer une croûte de pizza dans ma gamelle. Je savoure cette pâte croustillante et parfumée, je n’avais jamais rien mangé d’aussi bon.
 
Il est heureux, Ratatouille.
Mélanie est gentille. Elle vient m’ouvrir la porte tous les jours. J’aime bien son odeur, ses mains sentent le savon aux amandes. Elle me laisse courir sur le tapis de sa chambre, elle me construit des cabanes en Lego et me donne beaucoup de friandises.
Elle me dessine souvent et parle de moi à ses amis.
Lorsque nous jouons, elle me fait parfois un peu mal mais je ne lui en veux pas, elle est beaucoup plus grande que moi, elle ne peut pas savoir. Alors je lui lèche les doigts. Ça la fait rire.
Il est gentil, Ratatouille.
 
Tous les soirs, elle s’assoit avec moi sur le tapis et me raconte sa journée, en n’omettant aucun détail. Elle a eu un A à l’école, puis elle a joué à la marelle, et elle n’aime pas Sébastien parce que c’est un garçon et que de toute façon les garçons sont un peu bêtes et ne comprennent pas grand-chose (moi non plus, mais j’écoute attentivement). Et puis demain elle ira à la piscine, et elle se moquera de Sébastien qui ne sait pas plonger, puis elle ira à sa leçon de piano, et ensuite, peut-être que sa mère lui offrira le téléphone portable qu’elle veut depuis si longtemps. Pour appeler ses copines. Et parce que Sébastien a un téléphone, lui aussi… je m’endors sous les caresses, paisiblement.
Il est mignon, Ratatouille.
 
Hier, je me suis évadé et j’ai grignoté des objets, par désœuvrement. Des « fils électriques », une « poupée » et des « livres ». J’ai été puni.
Les jours coulent, et je n’ai pas d’ami avec qui jouer quand Mélanie est à l’école, je m’ennuie… Derrière la vitrine, je n’étais jamais seul. Ici, je me contente d’attendre que Mélanie rentre, pour avoir un semblant de contact. Peut-être aurais-je bientôt de la compagnie ?
Ce soir Mélanie ne m’a pas regardé. Elle ne m’a pas ouvert la porte, et je ne peux plus l’ouvrir non plus. Sa maman est venue y mettre un cadenas pour m’empêcher de sortir. C’est Mélanie qui l’a dit, un ca-de-nas. En séparant les syllabes. Un cadenas pour que je ne détruise plus rien.
Il est vilain, Ratatouille.
 
Mélanie ne me parle plus que rarement, elle ne m’aime pas comme au début, je le sens bien… Et pourtant, je n’ai pas changé, je suis seulement un peu plus grand, j’ai cinq mois à peine. Je suis un peu triste, et las d’attendre en vain l’arrivée d’un compagnon. La vitrine me manque.
Je ne sors pas beaucoup, mes articulations sont endolories, comme si la vieillesse me frappait déjà. La litière piquante sent mauvais, Mélanie ne la nettoie plus. Sa mère a pris le relai, elle bouillonne et peste contre sa fille à chaque fois qu’elle entre dans sa chambre. Et contre moi aussi. Je n’y peux rien…
Il est sale, Ratatouille.
 
Et puis, la porte s’ouvre de moins en moins. Mélanie ne me parle plus, jamais. Elle appelle Sébastien, de temps en temps : « on va bientôt au ski ! Dans trois semaines, pour les vacances, tu veux venir ? »
Sa maman passe me nourrir et m’abreuver, sporadiquement. Je lui en suis reconnaissant, et je guette avidement son arrivée… elle ne me touche jamais, je suis « une sale bête ». Je l’aime quand même, je ne peux pas m’en empêcher : elle est le seul être vivant qui s’occupe encore de moi. Tous les trois jours, puis une fois par semaine, puis quand elle y pense…
Puis plus du tout.
 
Les jours défilent.
Les heures s’étirent.
Tout bourdonne autour de moi. Mes poumons crépitent. Ma cage est devenue prison. L’air empeste les excréments et l’urine. La puanteur qui émane de ma litière souillée me brûle.
Je suis tapi au fond de ma petite cachette poisseuse, seule parcelle de ma cellule dans laquelle je puisse encore me réfugier.
Ma respiration est sifflante, mes yeux sont encroûtés, j’ai perdu de ma superbe… Je suis maigre, sale, je ne comprends pas : hier encore, j’étais si beau…
Mélanie ne me voit plus, je ne fais plus partie de sa vie, on m’a « déplacé », sous l’escalier. Là où il n’y a plus de lumière, là où mon odeur ne gêne pas trop, là où on ne passe pas souvent. Là où on m’oublie peu à peu.
Il est moche, Ratatouille.
 
Et les vacances arrivent. Alors on attrape Ratatouille avec ce qu’il reste de sa cage. On enfourne l’immondice dans un grand sac poubelle, que l’on va déposer sur le trottoir gris, à la veille du départ. Toute la famille part skier. Mélanie glissera, insouciante, le long des flancs scintillants des montagnes. Elle sera heureuse.
On ne peut pas emmener Ratatouille, et, de toute façon, il est malade. On ne soigne pas les rats…
 
Le froid est mordant, et le claquement du sac contre les barreaux gelés se répète à l’infini. Le plastique vrombit sous les bourrasques, se gonfle d’air glacé. Une danse funèbre qui s’éternisera une nuit entière dans l’ignorance la plus absolue. Une goutte dans l’océan des abandons.
Il est mort, Ratatouille.
Joyeux Noël, qu’ils disaient...
 
 Diane Ozdamar



jeudi 15 octobre 2020

Que nous marchions dans ta beauté

 

 

 La paix ne pourra naître dans ce monde que lorsque toujours plus d’hommes prendront conscience de l’unité de la vie existante entre la nature, les animaux, les plantes, les minéraux et les hommes ; et vivrons en conséquence. ~ Elan Noir, indien Sioux

 


Toi dont la voix s’entend dans le souffle de la brise,
Toi dont l’haleine donne vie au monde,
Nous avons besoin de ta force et de ta sagesse.

Fais que nous marchions dans ta beauté,
Que jamais nos yeux ne se lassent de contempler
les ors et les pourpres du soleil couchant.

Aide-nous à lire les messages que tu as cachés dans les feuilles et les rochers.
Rends-nous sages, afin que nous saisissions ce que tu nous as enseigné.

Fais que nous soyons toujours prêts à venir à toi
les mains propres et le regard clair.
Ainsi quand la vie s’éteindra comme s’éteint le couchant,
sans honte, nos esprits pourront venir à toi.

Transforme nos cœurs afin que nous n’enlevions jamais
à la beauté de ta création plus que nous ne lui donnons.
Apprend-nous à ne jamais rien détruire à la légère
pour satisfaire notre avidité, à ne jamais oublier de prêter nos mains
pour édifier la beauté de la terre ;
à ne jamais prendre ce dont nous n’avons pas besoin.

Rends-nous capables de comprendre que détruire la musique de la terre,
c’est créer la confusion, ruiner son apparence,
et nous rendre aveugles à la beauté.
Polluer son doux parfum par notre insouciance,
c’est en faire une maison de puanteur.

Mais si nous prenons soin d’elle, la terre prendra soin de nous. 

Prière amérindienne 




samedi 10 octobre 2020

Le vieux chien

La vie des chiens est trop courte. C’est vraiment leur seul défaut. Agnes Sligh Turnbull

Vieux

 Voilà, je suis vieux et fatigué.

 Voilà que je suis devenu un animal âgé. Mes poils sont devenus blancs.

 Je marche plus lentement. J'ai moins envie de sortir. Moins envie de courir.

 Mais je vous aime tout autant. Je suis un animal âgé. Mais mon amour pour vous n'a pas changé. Il n'y a pas si longtemps je gambadais encore comme un enfant mais le poids des années maintenant se fait de plus en plus pressant. J'ai du mal à me lever et je dois bien vous l'avouer je préfère rester couché et me faire caresser. 

Je suis un animal âgé qui ne veut qu'être aimé. La fin de ma vie arrive lentement mais en regardant toutes ces années passées je sois dire que je suis content d'avoir fait partie de votre foyer. 

Depuis que je suis tout petit j'ai toujours été en votre compagnie. Ensemble, nous avons tout partagé, les bons et les mauvais côtés. 

Mais je vais pour la seule fois vous abandonner car je suis un animal âgé et mes jours près de vous sont comptés. 

Surtout ne m'en voulez pas car ce n'est nullement mon choix de vous laisser ici-bas. Continuez à m'aimer, à me dorloter.

 Prenez soin de moi comme quand j'étais bébé et même si je suis devenu un animal âgé mon amour pour vous reste démesuré.

 Myriam Bled

lundi 5 octobre 2020

Voilà comment on remercie les chevaux

Dès lors que tu admets le fait que tu dois évoluer en tant qu'être humain pour te rapprocher des chevaux... c'est toute ta vie qui évolue. Les chevaux sont le symbole de notre façon de traiter nos semblables, notre travail, nous-mêmes. 

 Ulrike Dietmann, Le Cheval guérisseur de l'homme

Le vibrant plaidoyer de François Morel pour défendre les chevaux

  Voilà comment on te remercie le cheval

 Toi qui depuis des millénaires a été le meilleur auxiliaire de l’homme. Toi qui as été son fidèle adjoint, son compagnon, son plus proche associé. Toi qui l’as aidé, assisté, soutenu. Toi qui l’as servi. Toi qui as donné de ta personne en demandant si peu en échange. Toi qui l’as fait voyager, toi qui lui a permis de se relier avec les autres hommes, qui grâce à toi pouvaient communiquer, s’envoyer des dépêches, des correspondances… parfois des mots d’amour.

 Voilà comment on te remercie le cheval.

  Toi qui en avais souvent plein le dos, mais avançait quand même. Toi qui as labouré, tiré la charrue, toi qui as fit la guerre, traversant la misère, le froid, la neige dans des combats qui n’étaient pas les tiens, dans des guerres perdues d’avance puisque tu n’avais jamais rien à y gagner. 

Toi qui n’as jamais ménagé tes efforts, toi qui as accepté – courbant l’échine – d’être de trait, d’attelage, de selle, de course.

Voilà comment on te remercie le cheval. 

 Toi qui as tenté de rendre l’Homme meilleur, l’a fait chevalier. Toi qui t’es fatigué à le distraire, à le divertir, à Auteuil, Longchamp, Enghien, le faire parier, miser… rêver. Toi, pourtant capable de dormir debout, toujours aux aguets, d’un sommeil sans rêve. Toi qui as fait l’admiration de tous, sur les hippodromes, et sous les chapiteaux, sur la piste.

 Je me répète : toi qui as tenté de rendre l’Homme meilleur. Si souvent enclin à être cavalier, cavaleur, le faisant… chevaleresque.

 Voilà comment on te remercie le cheval. 

 Toi qui, par délicatesse, sur les chemins de terre, perdais parfois un fer, histoire de nous porter chance, de nous redonner espoir.

 Voilà comment on te remercie le cheval. 

 Et tu vas voir que mes quelques mots de sympathie et de reconnaissance vis-à-vis de toi seront critiqués par des abrutis, qui me reprocheront de parler de la douleur des chevaux au lieu de parler de celle des enfants du monde entier, comme si le cœur devait faire le tri parmi les enfants martyrisés, les vieillards battus, les animaux torturés. Alors que l’horreur de supplicier les faibles devrait alerter chacun, dans tous les cas, sans avoir besoin de passer un concours de l’ignominie. Sans tenter de revendiquer la meilleure place sur le podium, dans une compétition concurrentielle de sentiments compassionnels.

 Voilà comment on te remercie le cheval.

 Petit cheval dans le mauvais temps, aux mâchoires coupées, aux flancs lacérés, aux organes génitaux mutilés. Faut-il qu’il soit mauvais le temps pour s’en prendre à toi cheval, tous derrière et toi devant, tout seul, face à l’homme, qui s’éloignant de son passé de chevalier semble avoir une fâcheuse tendance à perdre son humanité.

 François Morel Chroniqueur

dimanche 4 octobre 2020

Cadeaux du jardin

Un œil qui sache voir la nature, un cœur qui sache sentir la nature, une volonté qui sache suivre la nature . Triade bardique
Les jours d'été, parmi les fleurs et le bourdonnement des insectes, des chants d'oiseaux venaient caresser les songes. Au jardin tout est cadeau, les parfums, les couleurs, les sons, les textures. Tout est sensualité et tout célèbre la vie...
Une feuille sculpturale de la très rare brassaiopsis mitis se dévoile comme une oeuvre d'art, invitant à la contemplation.
Les lotus rivalisent de délicatesse et les abeilles s'y enivrent.
Des grenouilles sautent parmi les sagittaires, les laitues d'eau et les pétales de roses.
Une libellule se repose sur une branche de figuier.
Un nymphaea sunfire s'est ouvert, raffiné comme un poème.
Un bourdon se régale du nectar de d'un sedum.
La passiflore part à l'assaut des autres plantes, s'enroule, et joue avec la lumière.
Les dernières fleurs de lys embaument jusqu'aux berges de la mare.
Une abeille s'enfouit entre les pétales veloutés d'une rose.
Le rudbeckia, imperturbable, fleurit à n'en plus finir.